La marathonienne en fauteuil roulant Jani Barré a réalisé un exploit à Londres

MONTRÉAL — Jani Barré a complété dimanche à Londres son 10e marathon en fauteuil roulant en un temps record de quatre heures, 19 minutes et 21 secondes.

Ceux qui suivent un tant soit peu l’athlétisme tiqueront sur l’amorce de ce texte, puisque la Suissesse Catherine Debrunner a franchi la distance en 1h34:16 au marathon de Berlin, en 2023.

C’est que Barré n’utilise pas un fauteuil «de course» à trois roues. Elle utilise son fauteuil de tous les jours, à quatre roues, un peu comme ceux que vous trouvez à l’entrée des urgences.

«J’ai déjà essayé pendant deux ans, pour le plaisir, et je ne ‘trippais’ pas, a indiqué l’athlète de 44 ans de Saint-Hyacinthe. Je trouvais que c’était compliqué de m’entraîner avec ça. C’est une chaise qui prend beaucoup de place, et difficile à transporter. Je suis seule, je n’ai pas d’entraîneur avec moi.

«Mon fauteuil, je suis assise dedans tous les jours. Déplacer ce gros vélo-là, je trouvais ça compliqué. (…) Je n’avais pas d’intérêt (à aller plus loin). Je n’étais pas heureuse de rouler avec ça», a-t-elle ajouté. 

Elle l’avoue d’emblée: elle se complique la vie en courant avec son fauteuil régulier.

«Un fauteuil de compétition, c’est une Formule 1. Moi, je roule en Camry, image-t-elle. À 10km/h, mes roues avant ‘shakent’, comme un panier d’épicerie!»

Retour en arrière: Barré est clouée à son fauteuil depuis sa tendre enfance en raison d’une ostéogenèse imparfaite, ou maladie des os de verre. Jusqu’à ce qu’on trouve un traitement pour améliorer la densité de ses os, elle a subi 157 fractures aux bras, aux jambes, voire au cou.

Sa dernière fracture remonte à il y a plus de 20 ans. Mais les traitements n’ont pas suffi: il a fallu qu’elle augmente sa masse physique, afin de se donner une meilleure chance de «ne pas casser».

C’est cette passion de l’entraînement, mais surtout du dépassement, qui la mène d’abord vers la boxe, un naturel quand on connaît son papa, Bernard Barré, qui baigne dans ce sport depuis plus de 40 ans et qui est aujourd’hui vice-président, recrutement et développement, du Groupe Yvon Michel.

«Il était pas mal nerveux au début! Il me disait: ‘Frappe pas trop fort, Jani!’. En même temps, ma mère et lui ne m’ont jamais mis de bâton dans les roues, jamais ils ne m’ont dit que je ne pouvais pas faire ci ou ça. (…) Ç’a pris un bon deux ans avant de développer ma musculature», dit celle qui a livré trois combats officiels en fauteuil roulant jusqu’ici.

De son propre aveu, ce qu’elle aime faire le plus, c’est de rouler. Simplement, pas à trois roues. Elle s’entraîne donc dans son fauteuil et décide de s’inscrire au marathon de Montréal de 2018, son premier.

«Mais comme je n’ai pas de fauteuil à trois roues, je pars avec la masse de coureurs, note-t-elle. Et j’en dépasse une gang! Mais ce n’est pas supposé: les coureurs sont censés aller plus vite que moi. Quand je dépasse des hommes aux cuisses musclées, je trouve ça bien drôle!»

Ce premier marathon — conclu en 4h12:29, son meilleur temps à vie — lui donne la piqûre. Elle se fixe alors pour objectif de conclure 10 marathons dans 10 villes différentes. Suivront Las Vegas, Ottawa, La Havane, Miami, Los Angeles, Honolulu, Paris et New York.

Pour Londres, elle voulait marquer le coup et contacte les Records Guinness. Le processus est fastidieux: les gens de Guinness veulent voir le fauteuil de Barré et lui demandent plusieurs photos, qu’elle leur fait parvenir. Une fois que le fauteuil est approuvé, ils l’attendaient avec une dernière surprise.

«C’est là qu’ils me disent: ‘Un record Guinness c’est exceptionnel; vous devrez réussir un temps exceptionnel’.»

Ce chrono? Guinness l’établit à 4h30. 

«Je me suis demandé pourquoi ils me demandaient ce temps. Je me demandais s’ils étaient allés fouiller sur ma page Facebook pour trouver mes temps. Mon père m’a dit: ‘Ils ne te demandent pas ça pour rien. Je vais chercher pourquoi’.»

Il a trouvé: en 1983, Denise Smith, athlète paralympique britannique, a conclu le marathon de Londres en fauteuil régulier en 4h29:03. Ce temps n’a jamais été inscrit au Guide des records Guinness, mais l’organisme s’en est clairement inspiré pour exiger 4h30 à Barré.

«Je me retrouve alors devant un vrai défi: de mes neuf marathons, seulement trois ont été courus sous ce temps», a expliqué Barré, qui a admis avoir été très nerveuse, au point d’en pleurer dans sa chambre d’hôtel la veille du départ.

Dès son réveil et jusqu’à la fin de la course, elle se répétera un mantra: c’est un défi, tu dois t’amuser.

Elle se fixe aussi un objectif: 4h25. Elle décide alors d’ouvrir la machine dans sa première heure de course, pour s’aider.

«En 60 minutes, je roule habituellement 10 km. Dimanche, j’avais 11 km de franchis après 60 minutes. Ce kilomètre de plus représente six minutes: exactement ce que j’ai retranché à mon objectif de 4h25», souligne celle qui gagne sa vie à titre de conférencière depuis neuf ans maintenant.

Après avoir franchi le fil d’arrivée — tout en attendant sa conjointe, Manon Pilon, qui a terminé une heure plus tard — elle a pu repenser à son exploit.

«Je pensais à Mme Smith. Je venais de battre une triple paralympienne: je me trouvais ‘hot’!»

Son chrono à Londres est son deuxième meilleur à vie.

«L’année 2024, c’est une grosse année pour moi. Un 10e marathon, un record Guinness et le 8 septembre, cela fera 10 ans que je suis sobre», a-t-elle confié. 

«Ce que je veux, c’est inspirer les gens, jusqu’à ma mort. Si moi j’ai été capable de traverser tout ça — ç’a été un enfer quand j’étais jeune — et que je reviens avec un record Guinness, il y a plein de gens qui sont capables de réaliser plein de choses. Il faut avoir de la volonté, de la persévérance et il faut travailler fort», a conclu Barré.