Le langage de Facebook
Robert était déconcerté. Sur son Facebook, il venait de lire, ou plutôt tenter de traduire, une phrase qui le laissait perplexe. Il en avait même un peu la chair de poule.
Question de prendre un peu de ses nouvelles, Robert avait cliqué sur la page de sa fille et c’est là qu’il avait vu un message que lui adressait l’une de ses amies. Les jeunes femmes, à peine sorties de l’adolescence étaient-elles en train de se mettre dans le pétrin?
Voici ce qu’il avait lu. « Je l’voulè YALLÉ. Cet hom es tout il est carré-mastic. Encor hier je lé vu sur internet. »
La jeune fille faisait-elle allusion à un gourou? Parlait-elle d’une de ces rencontres faites sur le web qui pourrait l’entraîner dans la déchéance pornographique? Envisageait-elle un rendez-vous physique avec cet homme?
Robert avait tapé le mot Yallé sur Google. Peut-être découvrirait-il l’identité de ce personnage. Mais non! On le référait plutôt à l’Université de Yale. Il n’était pas plus avancé.
Robert avait fait une petite incursion dans les messages suivants et précédents. Il n’avait pas été en mesure de déceler quoi que ce soit à part le fait que sa fille avait tout simplement répondu qu’elle était bien d’accord avec son amie. Cette fois-ci, il avait vraiment eu la chair de poule.
Sa Mireille venait de faire son entrée au cégep. Elle ne connaissait pas tous les pièges de la vie même s’il considérait qu’elle avait tout de même été passablement été mise au parfum concernant la cyber-sexualité, par exemple. Reste qu’un faux pas est vite arrivé, se disait-il.
Robert avait toujours été irrité par la façon dont plusieurs s’exprimaient sur Facebook. L’usage adéquat de la langue française était passé au dernier rang. On prenait des raccourcis, on écrivait au son, on ne se posait pas de questions sur l’orthographe d’un mot…. Or, il avait bien compris que « carré-mastic » signifiait « charismatique ».
Arpentant sa cuisine, Robert se sentait comme un lion en cage. Il fallait absolument qu’il connaisse le fin mot de cette histoire. Sa montre indiquait qu’il était 17 h 06. À cette heure, Mireille serait libre de lui répondre. Ses cours étaient terminés. Il saisit alors le téléphone.
Au bout de la ligne, c’est une Mireille enjouée qui lui répondit. Robert, lui, avait quasiment une voix d’outre-tombe. Sa fille le pressentit bien et lui demanda s’il ne s’était pas produit une catastrophe.
D’un seul coup, Robert relata ce qu’il avait lu et il afficha son inquiétude. Mireille était-elle insouciante? Elle se mit à rire. Elle lui raconta que son amie faisait allusion à son chanteur fétiche qu’elle aurait voulu voir en spectacle.
S’appelait-il Yallé? Non, avait répondu Mireille. Son amie avait voulu dire qu’elle aurait souhaité « y aller » à ce show. Mais pourquoi les majuscules? Bien, c’était simplement pour accentuer son désir d’assister à cette prestation, avait souligné Mireille.