Une application IA interprète les pleurs de bébé pour aider les parents

MONTRÉAL — Fruit de trois années d’études cliniques en milieu hospitalier, une application qui utilise l’intelligence artificielle (IA) interprète les pleurs de bébé pour proposer aux parents les scénarios les plus probables qui causent ces pleurs. 

L’application, nommée Nanni AI, a été développée par Ubenwa Health, une entreprise de Mila – Institut québécois d’intelligence artificielle, qui s’est lancée en 2022 sur la scène de la santé néonatale. Elle capte les pleurs du bébé pour proposer aux parents des possibilités qui font pleurer le bébé (la faim, la douleur, la fatigue, l’émotion ou l’inconfort). 

Ensuite, l’application fait des recommandations pour trouver plus précisément quel est le problème. Pour l’inconfort, elle pourrait suggérer que la couche est pleine, qu’il y a peut-être quelque chose qui gratte dans la couche, que la température de la salle est trop chaude ou trop froide. 

Florent Voumard, chef des opérations chez Ubenwa Health, reconnaît qu’il y a une marge d’erreur et souligne que cela ne remplace pas la compétence parentale. «L’idée, c’est de fournir aux parents les outils pour prendre la prochaine décision, dit-il. Parce que de toute façon quand le bébé pleure, parfois, la première chose qu’on essaie ça ne fonctionne pas, alors on essaie une deuxième chose.»

Dans les premiers mois de sa vie, le bébé ne choisit pas de pleurer, indique M. Voumard. «Les pleurs sont un réflexe contrôlé par le système nerveux central. C’est un signal et on s’est (demandé) si on était capable de traiter le signal pour le comprendre», explique-t-il.

M. Voumard mentionne qu’un bébé de six mois ne va pas pleurer de la même façon qu’un nouveau-né. Ses parents vont aussi avoir appris. Ils auront moins besoin de cette fonctionnalité de l’application puisque plus le bébé grandit, plus il interagit avec son environnement et avec ses parents.

Une aide plus qu’un remplacement 

Guillaume Dumas, chercheur au Centre de recherche Azrieli du CHU Sainte-Justine et professeur agrégé au Département de psychiatrie et d’addictologie de l’Université de Montréal, se montre prudent quant à ce genre d’application qui peut profiter de l’engouement autour de l’IA pour attirer des parents qui se posent des questions sur les pleurs de leur bébé. «J’aurais un principe de précaution, mentionne le chercheur. Il faut être vigilant et faire la différence entre les discours marketing et la validation scientifique.» 

M. Dumas voit Nanni AI comme un indicateur statistique. L’application indique qu’il y a plus de chances que les pleurs soient issus d’un tel problème plutôt qu’un autre. «C’est quand même différent que de dire qu’on va traduire ce que les cris de bébé veulent dire», précise-t-il. 

Selon lui, «une mère peut ressentir des choses qui ne sont pas mathématiquement modelables pour l’IA». Il croit cependant qu’il est tout à fait possible qu’une application puisse déduire qu’un pleur signifie que la couche est mouillée. 

M. Dumas, qui est égalementprofesseur associé auMila – Institut québécois d’intelligence artificielle, voit plusieurs atouts relatifs à Nanni AI. Elle peutamener de nouvelles formes d’informations pour les parents alors que des subtilités dans les pleurs peuvent leur avoir échappé. 

Il faut voir l’outil davantage comme une aide qu’un remplacement, soutient M. Dumas. 

M. Voumard est d’accord. «On a construit l’application pour être plus qu’un traducteur de bébé, dit-il. C’est la fonctionnalité phare, celle qui fait le plus parler parce que c’est celle qui a demandé plus de travail et qui est la plus difficile à comprendre et à développer. Mais on a voulu créer un univers qui aide vraiment les parents à gérer leur quotidien avec leur bébé.»

Parmi les autres fonctionnalités de l’application, il y a une zone de pratique où on peut rejouer le pleur et essayer d’en deviner la cause. Il y a aussi un assistant-clavardage qui est programmé pour donner de l’information aux parents. Ces derniers peuvent aussi documenter l’évolution de leur bébé, notamment par commande vocale en indiquant que leur enfant dort ou qu’il s’est réveillé. 

Cela permet d’utiliser les données pour voir si le bébé suit une croissance normale, par exemple en vérifiant s’il dort le nombre d’heures approprié selon son âge. Les données permettent aussi de faciliter la discussion avec un pédiatre lors des rendez-vous médicaux. 

Prudence 

Une telle application vient toutefois avec son lot de risques. M. Dumas estime qu’elle pourrait favoriser un désengagement des parents dans la volonté de comprendre les cris de leur enfant pour laisser cela à l’algorithme. «C’est un risque un peu plus psychologique, de la même manière qu’en utilisant beaucoup les GPS, les gens perdent le sens de l’orientation», illustre-t-il. 

L’application pourrait aussi atténuer leur sensibilité, croit le chercheur. «C’est important de maintenir cette curiosité et de ne pas se reposer sur une solution clé en main comme celle-là», affirme M. Dumas. Il ajoute que l’application a un nombre déterminé de réactions possibles et que certaines subtilités peuvent lui échapper. 

Nanni AI a été conçue après trois années d’études cliniques faites en milieu hospitalier en Afrique, en Amérique du Sud et en Amérique du Nord (à Montréal). Durant la recherche, les pleurs étaient annotés sur place par un médecin, une infirmière ou le parent. 

Depuis sa création, Nanni AI a traduit plus d’un million de pleurs de bébé. «Le modèle s’améliore de jour en jour, à mesure qu’on récolte plus de pleurs», souligne M. Voumard. 

Il a expliqué qu’au départ, les études ont été faites dans le but d’approfondir les connaissances sur le lien entre les pleurs du bébé et des troubles neurologiques. 

«Aujourd’hui, c’est une aide aux parents. Dans le futur, nos recherches démontrent que c’est vraiment possible de trouver et détecter des risques de troubles neurologiques seulement par les pleurs, affirme M. Voumard. On veut que le monde hospitalier se réveille au fait que le pleur d’un bébé, c’est un signe vital, au même titre que la température ou un pouls.»

Il fait valoir qu’il y a de «l’information extrêmement forte» dans les pleurs des bébés. Utiliser cette information pourrait avoir un impact important sur la santé des enfants, estime M. Voumard, qui ajoute que c’est l’avenir de cette application. Il est convaincu que d’ici quelques années, les pleurs de bébés seront utilisés pour aider à établir un bilan de santé pour les nouveau-nés. 

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