Un projet inédit pour reconnaître le racisme médical et y mettre fin

MONTRÉAL — Loin d’être seulement incarnée par des insultes ou de la violence physique, la discrimination peut aussi être présente dans le secteur médical. Une réalité dénoncée à travers le projet «REMEDions au racisme médical», qui voit le jour à la Clinique juridique Saint-Michel.

Le cas de Joyce Echaquan, cette femme atikamekw dénigrée par du personnel médical à l’hôpital de Joliette, et décédée peu de temps après, est un exemple probant de discrimination médicale, rappelle le porte-parole du programme, Dr Wolf Thyma, résident en psychiatrie et diplômé en droit.

«Une histoire absolument tragique» dont personne n’aurait eu connaissance si la principale intéressée ne s’était pas filmée, déplore celui pour qui la seule réjouissance est que ce cas aura permis à beaucoup de gens d’ouvrir les yeux sur le phénomène.

Mais si l’histoire de Mme Echaquan a marqué les esprits, elle ne serait  que la pointe de l’iceberg, alors qu’«énormément d’autres incidents» ont eu lieu avant, déplore Wafaa Ghlamallah, coordinatrice du projet et étudiante en droit à l’Université de Montréal.

En raison de certains stéréotypes et préjugés associés à certaines communautés, les membres qui y appartiennent sont plus susceptibles d’être victimes d’erreurs médicales. Même si elle ne le réalise pas, la personne soignante qui a internalisé ces préjugés pourrait ignorer ou minimiser certaines préoccupations ou symptômes évoqués par son patient.

Même les patients ne réalisent pas toujours qu’ils sont discriminés. «On a souvent tendance à penser que le médecin a la vérité absolue, souligne Mme Ghlamallah. On ne remet pas ses paroles en question, même si parfois on sent qu’il y a quelque chose qui cloche. Beaucoup de gens se rendent compte de ce qu’ils ont vécu lorsqu’ils constatent qu’un proche n’a pas reçu le même traitement.»

Fausses idées, vrais problèmes

Une ancienne enseignante du Dr Thyma avait affirmé devant lui que «les patients noirs n’étaient pas fiables» et qu’ils «exagéraient leurs émotions». 

De telles croyances, non fondées de surcroît, ont des impacts réels sur l’état des patients. «Ça peut faire en sorte qu’une personne noire, ou une personne racisée, va être moins prise au sérieux quand elle va se présenter à l’hôpital, explique-t-il. Les professionnels de la santé vont quand même faire leur travail, mais ils vont peut-être moins pousser leurs [recherches] parce qu’ils vont penser que le patient exagère.»

Un autre préjugé à l’endroit des personnes aux origines africaines est qu’elles ressentent moins la douleur; ce faisant, elles reçoivent parfois des doses moins fortes d’antidouleur ou d’anesthésiant, illustre le médecin.

«Si le patient voit ses symptômes ignorés ou diminués par le personnel médical, il ne sera pas adéquatement pris en charge, relève Mme Ghlamallah. Il y a aussi des erreurs médicales graves qui résultent de ces biais inconscients, toutes des choses qui ne seraient pas arrivées si le médecin avait pris la problématique au sérieux au départ.»

Outre un mauvais diagnostic ou une minimisation de la gravité de celui-ci, le racisme médical peut avoir des séquelles psychologiques importantes chez les victimes, mais aussi chez leurs proches, insiste le Dr Thyma, qui a lui-même perdu son père dans des circonstances «traumatisantes» en raison du traitement discriminatoire que lui a fait subir, ainsi qu’à sa famille, le personnel médical en charge.

«C’est une expérience qui marque, qui est traumatisante pour les victimes de discrimination médicale, dit-il. Elles peuvent perdre confiance dans le système de santé et même avoir peur de retourner à l’hôpital, par crainte de revivre la même chose qui leur est arrivée ou qui est arrivée à leur proche.»

Cet évitement du système peut insidieusement faire en sorte que d’autres problèmes de santé ne soient pas détectés, donnant naissance à un cercle vicieux qui n’a rien de bon, ajoute le porte-parole.

Une étude menée à l’Université d’Ottawa s’est penchée sur les facteurs expliquant le fait que les personnes noires, arabes ou autochtones, entre autres, étaient moins nombreuses à avoir été vaccinées contre la COVID-19. Parmi les conclusions de l’étude, les épisodes de racisme médical ont ressorti parmi les causes de ce refus d’être vacciné, qui s’accompagnait de méfiance à l’égard du système de santé.

«On s’est penchés sur différents facteurs et on a aussi croisé certaines variables pour voir leur influence, explique Jude Mary Cénat, professeur agrégé à l’École de psychologie de la Faculté des sciences sociales. Nous avons constaté que même parmi les gens avec une bonne littératie en santé, quand ils ont été victimes de discrimination médicale, ces personnes étaient les plus méfiantes envers le système de santé.

«Une étude précédente indiquait que 53,1 % des membres des communautés noires avaient vécu de la discrimination dans le système de la santé, soulève M. Cénat. Dans notre étude, on est arrivés à presque 50 %, ce qui confirme que ce ne sont pas des cas isolés, que ce n’est pas l’histoire d’une seule personne.»

Résultat: la pandémie a fait davantage de ravages chez les personnes noires, qui avaient 2,2 fois plus de chances de mourir de la COVID-19 que les personnes blanches.

Un projet, trois volets

Le 19 mai, la Clinique juridique Saint-Michel tiendra une exposition à la Tohu mettant certains témoignages de victimes de racisme médical à l’avant-plan.

Il s’agira du même souffle du lancement officiel de son programme REMEDions, qui offrira un service de soutien aux patients victimes d’une telle discrimination, en leur proposant de l’accompagnement psychologique et juridique.

De la documentation explicative sur le phénomène de la discrimination médicale sera aussi réalisée par l’équipe du projet, et ce, afin de sensibiliser et d’outiller aussi bien les patients que les professionnels de la santé face à l’enjeu.

«Souvent, les gens ne savent même pas par où commencer, souligne le Dr Thyma. Certaines victimes ne réalisent pas toujours le fait qu’elles ont vécu de la discrimination médicale, et parfois, c’est quelque chose de tellement personnel et traumatisant qu’elles ne se sentent pas capables d’en parler.»

Le médecin résident en psychiatrie espère que d’expliquer l’existence du phénomène fera en sorte que ceux qui l’ont vécu pourront en parler librement. Le tout permettra aussi de documenter l’enjeu.

Surtout, souligne Mme Ghlamallah, la clinique ne veut pointer personne du doigt. «Ce n’est pas un projet accusatoire, au contraire: on veut rétablir un lien de confiance entre le personnel de santé et les usagers, et mettre cet enjeu en lumière», dit-elle.

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Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière de la Bourse de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.