Les fermes deviennent inabordables pour les jeunes producteurs

MONTRÉAL — Les fermes québécoises deviennent de plus en plus inabordables à cause des prix élevés des terrains, constatent des organisations agricoles de la province.

Benoît Curé, le coordonnateur d’ARTERRE, un organisme qui tente de présenter des aspirants fermiers à des propriétaires de terrain et de ferme, estime que le prix d’un terrain agricole a augmenté d’environ 10 % l’an dernier.

«L’enjeu principal est le coût des terres agricoles. Au cours des 10 dernières années, on était de 6 à10 % d’augmentation. Un exemple: la production laitière. Entre 2011 et 2022, la valeur moyenne d’une ferme laitière au Québec a quasiment doublé à 5 millions $.»

Si on considère que la mise de fonds pour l’achat d’une ferme s’établit à 20 %, «il faut quasiment être millionnaire avant de démarrer son entreprise agricole», déplore M. Curé. Si les jeunes ne peuvent plus se permettre de devenir des fermiers, alors la plupart des collectivités rurales risquent de ne compter que deux ou trois grandes entreprises.

M. Curé dit que le prix d’un terrain est actuellement plus élevé que les revenus qu’un fermier pourrait tirer de son entreprise pendant toute sa vie.

Il explique que plusieurs facteurs ont contribué à la hausse des prix, notamment la spéculation immobilière  —particulièrement dans la région de Montréal — et une forte concurrence pour les meilleurs sols. Au Québec, à peine 2% du territoire peut accueillir une ferme.

Cette situation est préoccupante, surtout à une période où un nombre croissant de fermiers âgés prévoient quitter le secteur. Les organisations agricoles s’inquiètent que si les jeunes ne peuvent pas s’acheter une ferme, seules les plus grandes entreprises subsisteraient. Cela réduirait la diversité des récoltes et des élevages tout en élargissant l’écart entre les Canadiens et leurs sources alimentaires.

Myriam Landry, qui élève des chèvres à Saint-Esprit, dans Lanaudière, depuis 2018, raconte avoir pu lancer sa petite entreprise en louant une grange. Toutefois, elle ajoute qu’il est difficile d’obtenir du financement pour des petites activités, particulièrement pour des produits moins communs comme la viande de chèvre.

Elle n’avait que deux chèvres lorsqu’elle a fondé la Chèvrerie aux Volets Verts. Elle n’avait pas les moyens d’acheter un plus grand troupeau. Mme Landry a aussi choisi un animal assez petit pour qu’elle puisse s’en occuper tout en étant enceinte de son troisième enfant.

«J’aurais dû partir plus gros, mais j’aurais eu besoin de plus d’argent, que je n’avais pas, raconte-t-elle. C’est vraiment plus dur pour les jeunes. Je n’avais pas de terrain, je n’avais pas de tracteur. Même mes chèvres, j’ai dû emprunter pour les acquérir.»

La production agricole a toujours nécessité un fort capital à cause de l’achat de terrain,  d’équipements et d’intrants. Les prix pour acquérir une ferme dépassent les revenus dont on peut en tirer, constate aussi Jean-Philippe Gervais, économiste principal à Financement agricole Canada, une société de la Couronne qui prête de l’argent aux fermiers.

«La relation entre le prix de la terre et les revenus dont on peut en espérer, ce ratio n’a jamais été aussi élevé, souligne-t-il. On a vraiment des prix qui sont les plus élevés qu’on n’a jamais vus, non seulement en valeur absolue ou prix à l’hectare, mais relativement à ce qu’on peut générer comme revenus.»

Il est rare que les fermiers réalisent des profits en se contentant des activités agricoles. Plusieurs revoient leur argent seulement lorsqu’ils vendent l’entreprise. Les fermes plus grandes, mieux établies, peuvent obtenir du financement pour acheter des terrains grâce aux revenus qu’ils tirent des terres qu’elles possèdent déjà, ajoute M. Gervais.

Selon l’Union des producteurs agricoles, 11 % des fermiers songent à fermer leur entreprise en raison de la hausse des coûts de production. Les coûts de production ont augmenté en moyenne de 17,3 % en 2022 tandis que les revenus ont progressé de 14,7 %.

Une étude publiée en avril par la Banque Royale du Canada révélait que 40 % des fermiers canadiens prévoient prendre leur retraite au cours de la prochaine décennie. Deux fermiers sur trois n’ont aucun plan pour leur succession.

Julie Bissonnette, la présidente de la Fédération de la relève agricole du Québec, note que l’agriculture intéresse pourtant un grand nombre de jeunes.

«Des fois, on entend dire qu’il n’existe pas de relève, mais ce n’est pas vrai. Il y a en beaucoup. Il faut juste s’assurer qu’ils soient capables de s’installer. C’est tellement d’argent.»