Troisième record de chaleur en une semaine, mais…

La température moyenne de la Terre a atteint jeudi un nouveau record officieux, le troisième au cours d’une semaine qui a déjà été la plus chaude jamais enregistrée et qui, selon un éminent scientifique, pourrait être la plus chaude depuis 120 000 ans.

Mais il s’agit également d’un record qui suscite des questions et des réserves scientifiques légitimes, à tel point que l’Administration nationale des océans et de l’atmosphère (NOAA), une agence fédérale américaine, a pris ses distances.

Ce record a attiré l’attention du monde entier, même si le chiffre ― 17,23 degrés Celsius ― ne semble pas si élevé que cela, car il s’agit d’une moyenne des températures relevées sur l’ensemble de la planète.

Pourtant, les scientifiques affirment que le rythme quotidien des records ― officiels ou non ― est le symptôme d’un problème plus large où les chiffres précis ne sont pas aussi importants que ce qui les provoque.

«Les records attirent l’attention, mais nous devons nous assurer de les relier aux choses qui comptent réellement, a déclaré Friederike Otto, climatologue à l’Imperial College de Londres, dans un courriel. Je ne pense donc pas que le caractère « officiel » des chiffres soit déterminant. Ce qui compte, c’est qu’ils sont énormes et dangereux et qu’ils ne se seraient pas produits sans le changement climatique.»

La moyenne planétaire de jeudi a dépassé la barre des 17,18 degrés établie mardi et a égalé celle de mercredi, selon les données du Climate Reanalyzer de l’Université du Maine, un outil qui utilise des données satellitaires et des simulations informatiques pour mesurer l’état de la planète. Avant lundi, aucun jour n’avait dépassé la barre des 17 degrés Celsius au cours des 44 années d’enregistrement de l’outil.

Aujourd’hui, la semaine entière qui s’est achevée jeudi a atteint cette moyenne.

«Il est tout à fait plausible que les deux derniers jours et la semaine dernière aient été les jours les plus chauds au niveau mondial depuis 120 000 ans», ou au moins 23 000 ans, a lancé Michael Mann, un climatologue de l’Université de la Pennsylvanie, citant une étude datant de 2021.

Le climatologue Zeke Hausfather, de l’entreprise technologique Stripe et du groupe de surveillance de la température de la Terre de Berkeley, a estimé qu’il s’agissait clairement de la journée la plus chaude depuis 1900, «très probablement la semaine la plus chaude des 2000 dernières années».

Il a ajouté qu’il ne serait pas surpris qu’il s’agisse de la semaine la plus chaude depuis 120 000 ans, mais cela repose sur des mesures indirectes telles que les anneaux des arbres, qui ne sont pas précises, de sorte qu’il est plus difficile d’être confiant.

La moyenne de cette semaine inclut des endroits où la chaleur est dangereuse ― comme Jingxing, en Chine, qui a enregistré près de 43,3 degrés Celsius ― et des endroits où la chaleur est simplement inhabituelle, comme l’Antarctique, où les températures sur une grande partie du continent ont été supérieures de 4,5 degrés Celsius par rapport à la normale cette semaine.

Les températures ont été si brutalement élevées jeudi à Adrar, en Algérie, que le minimum nocturne n’a été que de 39,6 degrés Celsius. Selon Maximiliano Herrera, historien du temps et climatologue, il s’agit là d’un minimum nocturne historique pour l’Afrique.

Les températures grimpent également en Europe cette semaine. L’agence météorologique allemande, DWD, prévoit des températures maximales de 37 degrés Celsius pour dimanche et le ministère de la Santé a lancé un avertissement aux personnes vulnérables.

Bien qu’il y ait de petites zones de températures plus fraîches que la normale à travers le monde, la mesure de l’Université du Maine est une moyenne. Cela signifie que certains endroits ― y compris les deux régions polaires ― seront extraordinairement plus chauds que la normale et que d’autres seront plus frais. En moyenne, la température est supérieure d’environ 1 degré Celsius à la moyenne 1979-2000, qui est plus élevée que les moyennes des 20e et 19e siècles.

En outre, 70 % de la planète est recouverte d’océans, qui enregistrent des records de chaleur depuis des mois.

Selon les scientifiques, cette chaleur est due à deux facteurs : Le réchauffement à long terme dû aux émissions de gaz à effet de serre provenant de la combustion des combustibles fossiles et le réchauffement naturel El Niño d’une partie du Pacifique, qui modifie les conditions météorologiques à l’échelle mondiale et accroît encore un peu plus la chaleur d’un monde déjà en proie au réchauffement.

Jeudi, la NOAA a émis une mise en garde concernant les conclusions de l’outil du Maine, déclarant qu’elle ne pouvait pas confirmer les données résultant en partie de la modélisation informatique et qu’elle ne pouvait pas remplacer les observations.

Selon Gabriel Vecchi, un climatologue à l’université de Princeton, les scientifiques ne comprennent pas et n’ont pas beaucoup étudié les fluctuations quotidiennes. Les données globales portant sur des mois, des années et surtout des décennies sont beaucoup plus significatives pour eux.

«Le fait que nous n’ayons pas eu d’année plus froide que la moyenne du XXe siècle depuis l’administration Ford (1976) est beaucoup plus pertinent», a souligné M. Vecchi.

«En fin de compte, la planète connaît une période de chaleur probablement sans précédent, a dit Marshall Shepherd, qui est professeur de météorologie à l’Université de Géorgie. Même si nous ignorons les records de chaleur, les incendies de forêt, l’élévation du niveau de la mer et les cyclones tropicaux sont également révélateurs.»

Selon Max Boykoff, un professeur d’études environnementales à l’Université du Colorado, qui suit la couverture médiatique du changement climatique, les discussions sur le caractère officiel des relevés ne sont pas aussi importantes que le fait que le public reçoive le message «que la Terre se réchauffe et que l’homme en est responsable». Selon lui, l’immédiateté des données quotidiennes interpelle les gens.

«La question du changement climatique n’a pas souvent droit à son quart d’heure de gloire. Lorsqu’elle l’est, elle est généralement liée à quelque chose d’abstrait, comme un rapport scientifique ou une réunion de politiciens à laquelle la plupart des gens ne peuvent pas s’identifier», a dit Ed Maibach, un professeur de communication sur le climat à l’université George Mason. 

«Ressentir la chaleur ― et respirer la fumée des incendies de forêt, comme beaucoup d’entre nous dans l’est des États-Unis et du Canada l’ont fait au cours du mois dernier ― est une expérience publique partagée et tangible qui peut être utilisée pour centrer la conversation publique», a-t-il ajouté.