Tring-Jonction: deux frères et un train

HISTOIRE. Bien que le train ne passe plus depuis 1994 à Tring-Jonction, son souvenir reste bien gravé dans la mémoire et façonne toujours l’identité des Trignois.

Aristide Lambert se souvient très bien de son premier jour de travail. C’était le 6 juin 1951. «Si tu savais comme on a travaillé, dit-il, d’une voix chargée par l’émotion. Il y avait juste la Placo (une usine de déroulage de billots) ou le Chemin de fer [où travailler].»

«C’était de bons salaires pour l’époque acquiesce son frère», Pierre Lambert. Sur un bulletin de paie datée de 1961, on aperçoit le salaire qu’il gagnait à l’époque. Deux semaines de travail donnaient un salaire net de 108,54$.

Beauce Média a rencontré ces deux doyens du chemin de fer à l’ancienne gare restaurée de Tring-Jonction, où leurs souvenirs sont nombreux. Pierre Lambert a travaillé pendant 29 ans et Aristide 40 ans dans le monde ferroviaire.

À cette époque, presque toute la maintenance d’une voie ferrée se faisait à la main. De petites équipes parcouraient le territoire du chemin de fer Québec Central. Ils remplaçaient les rails et les traverses. Ils pelletaient les rails après les fortes tempêtes et tout se faisait à la main.

Anecdotes

Arisitide Lambert a de doux souvenirs de l’esprit de camaraderie qui régnait au sein des équipes de travail. Dans les années 1950, ils étaient près de 300 hommes sur la maintenance du tracé du Lac-Frontière à Sherbrooke. Les manigances et coups montés étaient nombreux. Les plus farceurs d’entre eux mangeaient les meilleurs repas de leurs collègues. Les vêtements étaient parfois cachés dans des recoins sombres.

M. Lambert a raconté qu’une fois, il se trouvait aux États-Unis avec une pelle mécanique. Il a traversé la frontière, sans se rendre compte de son erreur. De l’autre côté, les gardes-frontières se sont mis à sa poursuite. «Ils voulaient saisir la pelle. Ç’a créé tout qu’un incident», dit Aristide Lambert, en riant.

Une autre fois, il a perdu contact avec le contremaître et une faucheuse s’approchait pour couper les herbes sur les bas-côtés du chemin de fer. Son supérieur a couru pour l’avertir de s’éloigner, sans quoi, nul ne sait quelles auraient été les conséquences.

Le déclin

«J’adorais travailler dehors. Pour moi, c’était inconcevable de rester en dedans. J’aimais beaucoup mon travail», décrit Pierre Lambert.

La perte de vitesse du Chemin de fer Québec-Central, jusqu’à son abandon en 1994, s’est fait sentir graduellement. «Le Canadien Pacifique donnait de moins en moins de service. C’était des décisions de fonctionnaires qui se prenaient à Montréal», critique Aristide Lambert.

«Ils n’ont pas su évoluer avec la concurrence du transport par camion. Il arrivait des wagons-citernes de carburant destinés aux flottes, les routes se développaient. Il y avait de moins en moins de wagons pour rentabiliser le tracé. Je l’ai trouvé difficile, avoue d’emblée Pierre Lambert. Ils ont commencé par donner moins d’heures. Ils alternaient les cédules de travail.»

Aristide Lambert a enterré avec sa pelle mécanique les fondations de 22 gares du Québec Central. Les trois dernières encore debout sont celles de Vallée-Jonction, Tring-Jonction et East Angus (en Estrie).

Le retour du train encore possible?

Les récents développements dans le projet d’une cour intermodale de transport à Vallée-Jonction et une étude de faisabilité positive ont redonné espoir aux nostalgiques et amoureux du train. Certains croient qu’il est toujours réaliste de penser que le train pourrait un jour passer de nouveau à Tring-Jonction. D’autres croient plutôt que les coûts exorbitants de la remise en état du chemin de fer cloueront dans le cercueil les espoirs.

Aristide croit qu’il reviendra, son frère, plus pessimisme est d’un avis contraire. Même après 24 ans d’absence le train suscite toujours les discussions et les débats à Tring-Jonction. Un sujet qui n’a pas d’âge et qui se poursuit avec le centenaire de la municipalité en 2018.