Rendre la dignité aux défunts parmi l’horreur

TÉMOIGNAGE. Rina Tremblay, coiffeuse des Éboulements, dévoile comment elle a aidé à maintenir la dignité aux décédés.

«Il y en a très peu aux Éboulements qui savent que j’étais présente. C’est la première fois que j’en parle», commence la coiffeuse de 35 ans d’expérience, Rina Tremblay.

Elle s’adonnait à aller chercher des foins salés sur le bord de la grève, en voiture. Ses deux enfants de six et huit ans étaient sur le siège arrière. Elle a d’abord entendu le bruit des sirènes. La curiosité l’a emportée. Elle s’y est rendue. «Quand j’ai vu que c’était gros comme drame, j’ai reviré de bord et j’ai déposé les enfants au chalet, confie Rina Tremblay. Quand je suis revenu, j’ai immédiatement été interpellée pour porter secours.»

Elle est arrivée alors qu’un groupe de gens donnait un coup de main pour sortir les survivants. Son mari, pompier volontaire, a prêté main-forte aux autres, dans l’autobus. «Nous n’avons jamais eu de mauvais souvenirs ou de flash-backs. Il fallait être une communauté unie, tous ensemble, pour arriver à bout de ce qu’il se passait.»
Les gens ont improvisé une chaîne humaine. Rina Tremblay, aux côtés de dizaines de personnes, a transporté les défunts. «J’aimerais que les gens comprennent que, dans toute cette folie, tout s’est déroulé dans le respect des corps. Les corps n’ont pas été ballottés. On les a placés un par un, cérémonieusement. On s’est empressé de cacher les gens sous des bâches, parce qu’on ne voulait pas que les journalistes prennent des photos. Notre peur était que les gens de la Beauce voient leurs parents», pèse-t-elle ses mots.

L’abbé Bernard Tremblay, de la paroisse voisine, a donné l’extrême-onction à chacun des corps, avant de les cacher. «On espérait toujours de trouver des survivants, mais ils étaient malheureusement presque tous décédés.»

Une grève marquée

L’endroit où ont été placés les corps se trouve près d’une plage du fleuve Saint-Laurent. Un lieu où les gens des Éboulements ont l’habitude de stationner leur voiture, pour aller se baigner. Les ambulances ont peu à peu fait disparaître les bâches. Les défunts étaient emmenés dans des cercueils en carton jusqu’à l’hôpital de La Malbaie.
«C’était comme dans un rêve, j’y suis resté du début de l’après-midi, jusqu’à la fin de la soirée. Je n’ai jamais mal dormi après ça. Je me sentais à ma place. Il fallait s’entraider», répond Rina Tremblay, d’une voix qui chavire.

Les gens des Éboulements ne sont pas retournés à cette place avant longtemps. Des croix ont été installées. Des fleurs y apparaissent de temps à autre.