Ottawa est à la croisée des chemins pour remplacer les sous-marins vieillissants

OTTAWA — Le gouvernement fédéral est à la croisée des chemins pour remplacer les sous-marins vieillissants de sa Marine, alors que les considérations de coûts se heurtent aux pressions concernant le besoin de tels bâtiments — et que les alliés poursuivent leurs propres plans.

La Marine royale canadienne a révélé en juillet 2021 qu’elle avait amorcé les démarches attendues depuis longtemps pour remplacer ses quatre sous-marins de classe Victoria. Elle a alors mis sur pied une équipe spéciale pour déterminer exactement ce dont la Marine avait besoin. On estime qu’il faudrait au moins 15 ans pour concevoir et construire de nouveaux sous-marins.

Pourtant, il n’y avait pas eu alors d’engagement formel du gouvernement libéral de se doter d’une nouvelle flotte de sous-marins après le retrait des bâtiments de la classe Victoria au milieu des années 2030 — un engagement qui n’a toujours pas été pris, d’ailleurs, près de deux ans plus tard.

Le porte-parole de la ministre de la Défense Anita Anand a décrit mardi les sous-marins comme «l’un des atouts les plus stratégiques du Canada pour assurer la surveillance des eaux canadiennes et internationales, y compris le proche Arctique».

Mais il n’a pas voulu dire si le gouvernement s’était engagé à remplacer la flotte actuelle. Il a plutôt souligné que le gouvernement revoyait sa politique de défense existante, publiée en 2017, pour déterminer les besoins à long terme des armées.

Adam MacDonald, ancien officier de Marine devenu expert en défense à l’Université Dalhousie, à Halifax, soutient que le gouvernement est en retard s’il veut que de nouveaux sous-marins soient prêts avant que les bâtiments actuels ne soient retirés.

«La plupart des gens qui étudient vraiment cette question disent essentiellement qu’il doit y avoir une décision (…) maintenant ou dans l’année qui vient», dit-il.

Ce manque de direction politique survient alors que les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie ont placé les sous-marins au cœur d’un nouveau partenariat tripartite de défense, connu sous le nom d’«AUKUS», qui vise à repousser les ambitions chinoises dans la région indo-pacifique.

Les hauts gradés des Forces armées canadiennes n’ont cessé de parler de l’importance des sous-marins, comme le faisait encore la semaine dernière en entrevue le chef d’état-major de la défense, le général Wayne Eyre, interrogé sur les besoins immédiats de l’armée canadienne.

Mais les experts estiment qu’il n’y a aucune garantie qu’Ottawa s’engagera à dépenser l’argent nécessaire pour remplacer les sous-marins de la classe Victoria, dont les propres coûts et bénéfices ont été vivement débattus depuis qu’ils ont été achetés d’occasion à la Grande-Bretagne en 1998 — il y a 25 ans.

«Je ne pense pas qu’il soit absolument certain que nous allons continuer à avoir une capacité sous-marine», a déclaré M. MacDonald.

«Peinturés dans le coin»

C’est que le gouvernement libéral fait face à d’autres pressions financières, notamment l’escalade des coûts d’autres acquisitions militaires, tels que le projet de construction d’une nouvelle flotte de navires, et des appels au contrôle des dépenses après une décennie de déficits.

«L’environnement financier dans lequel nous nous trouvons actuellement est de plus en plus précaire», admet l’analyste de la défense Rob Huebert, de l’Université de Calgary, qui craint que les libéraux ne finissent par «mettre cette question sous le tapis».

«Même si nous avions un gouvernement qui s’était engagé à assurer une sécurité stricte, nous nous sommes tellement peinturés dans le coin, comment on pourrait y arriver maintenant?»

Il faut dire que la flotte actuelle du Canada n’a pas aidé le dossier de la Marine. Présentés comme une bonne affaire lorsqu’ils ont été achetés à la Grande-Bretagne pour 750 millions $ en 1998, les sous-marins ont depuis passé plus de temps à quai qu’en mer, pour des réparations et de l’entretien.

Ottawa a été obligé d’investir des milliards de dollars dans la flotte depuis plus de 20 ans pour résoudre une série de problèmes et d’incidents, notamment des incendies et des soudures défectueuses. Il y a également eu plusieurs accidents pendant les opérations militaires et les essais en mer.

Les commandants militaires — actuels et anciens — insistent néanmoins sur le fait que les sous-marins sont essentiels à la défense des voies navigables du Canada ainsi qu’au succès des opérations militaires à l’étranger, d’autant plus que la Chine et la Russie se précipitent pour construire leurs propres flottes.

Décrivant les océans comme un champ de bataille en trois dimensions, le vice-amiral à la retraite Mark Norman explique que les sous-marins sont essentiels pour savoir et contrôler ce qui se passe sous les flots.

«J’ai déjà utilisé l’analogie d’un corps policier qui essaie de patrouiller dans les rues d’une ville, pour découvrir qu’il existe tout un système souterrain qui permet la libre circulation d’activités illicites à leur insu», a déclaré cet ancien commandant de la Marine.

Le partenariat «AUKUS» semble donner du poids à ces arguments, les États-Unis prenant la décision très inhabituelle d’accepter de partager leurs secrets de sous-marins nucléaires avec l’Australie — ce sera la deuxième fois seulement. 

«La réalité est que vous avez une course aux armements sous-marins en cours, a déclaré le professeur Huebert. Les Chinois, les Japonais, les Américains construisent des sous-marins à un rythme qu’on n’avait pas vu depuis un peu avant la Seconde Guerre mondiale.»