L’injection profonde sous terre d’eaux usées ou du CO2 provoquerait des séismes

EDMONTON — Le plus grand tremblement de terre jamais enregistré dans l’histoire de l’Alberta n’était pas un événement naturel, mais très probablement causé par l’élimination des eaux usées des sables bitumineux, selon des chercheurs.  

En novembre, des secteurs de l’Alberta, près de la ville de Peace River, dans le nord-ouest, ont été secoués par une série de tremblements de terre, qui ont culminé en un séisme de magnitude 5,6.

Les résidents ont déclaré avoir été jetés à genoux. La terre a été poussée vers le haut de plus de trois centimètres – assez pour être enregistrée par les satellites.

Les techniques de gisement pétrolier, telles que les puits d’évacuation profonds qui injectent les eaux usées à des kilomètres sous terre, peuvent provoquer des tremblements de terre. 

L’un de ces puits, situé près du site du tremblement de terre et utilisé pour évacuer l’eau utilisée dans l’exploitation des sables bitumineux, a injecté plus d’un million de mètres cubes d’eaux usées sur environ deux kilomètres.

Après ce tremblement de terre record, la Commission géologique de l’Alberta, qui fait partie de la Régie de l’énergie de la province, l’a attribué à des causes naturelles. L’épicentre du séisme, alors estimé à six kilomètres sous terre, a été jugé trop profond et trop éloigné de l’activité des gisements de pétrole, dans le temps et dans l’espace, pour avoir été généré par l’industrie.

Mais Ryan Schultz, un sismologue canadien qui a participé à la recherche à l’Université de Stanford, en Californie, soutient maintenant que ces séismes ont été causés par l’évacuation des eaux usées.

«Sismicité induite» 

Après un examen plus approfondi des données, l’épicentre du tremblement de terre a été ramené à environ quatre kilomètres sous la surface. Ce chiffre est maintenant reflété dans le registre de la commission géologique albertaine.

De même, un examen des recherches antérieures sur ce qu’on appelle la «sismicité induite» a révélé qu’il s’écoulait parfois un long moment entre l’injection d’eau dans les puits profonds et les tremblements de terre.

Ainsi, la terre a commencé à trembler près d’un ancien site d’élimination en Alberta trois ans après le début du pompage, a déclaré le professeur Schultz. Aux Pays-Bas, un puits d’évacuation n’a pas provoqué de tremblements de terre avant des décennies.

De plus, l’histoire montre que l’évacuation en eau profonde peut provoquer des tremblements de terre jusqu’à 20 kilomètres de là. 

Les tremblements de terre de novembre en Alberta étaient beaucoup plus près des sites. «Les grappes de tremblements de terre se trouvaient juste au-dessus d’un puits de stockage profond», a souligné M. Schultz.

Que dire du stockage de carbone?

Son article, coécrit par des scientifiques de l’Université de l’Alberta et de Ressources naturelles Canada, a été publié dans la revue «Geophysical Research Letters». Il suggère que l’eau injectée s’est infiltrée entre les deux versants d’une faille profonde. Cette eau était suffisante pour réduire la friction qui maintenait les deux versants ensemble et a finalement entraîné un glissement qui a ébranlé la surface.

L’analyse statistique de la corrélation entre les tremblements de terre et le pompage souterrain a été concluante, a déclaré le professeur Schultz. «Il y a suffisamment d’informations pour commencer à faire ce genre de liens», avec un degré de confiance «de 89 % à 97 %».

Selon le chercheur, ces résultats pourraient avoir de grandes implications pour les stratégies de lutte contre le changement climatique du Canada et de l’Alberta.

Les deux gouvernements sont favorables au «captage et stockage» de gaz carbonique en le pompant en grandes quantités profondément sous terre — comme on le fait justement avec les eaux usées des sables bitumineux. Ce procédé pourrait donc avoir les mêmes effets sismiques, a déclaré M. Schultz.

«Si le captage du carbone doit être effectué à une échelle telle qu’il va lutter véritablement contre le changement climatique, alors des quantités importantes de volume doivent être mises dans le sol, et on peut s’attendre à ce que ces types de tremblements de terre soient également plus importants.»

Cela ne signifie pas nécessairement que le procédé soit une mauvaise idée, a-t-il dit: cela signifie qu’on devrait effectuer beaucoup plus de surveillance sismique autour des sites, pour suivre ce qui se passe au plus profond de la terre.