L’entente sur les enfants autochtones pourrait mourir avec un nouveau gouvernement

OTTAWA — Un avis juridique demandé par l’Assemblée des Premières Nations prévient que l’entente de 47,8 milliards $ visant à réformer le système de protection de l’enfance des Premières Nations pourrait être caduque s’il y a un changement de gouvernement à Ottawa au cours de la prochaine année.

L’entente avait été conclue en juillet dernier, après des décennies de plaidoyer et de litiges de la part des Premières Nations et d’experts qui cherchaient à remédier à la discrimination envers les enfants autochtones arrachés à leurs familles et placés en famille d’accueil. Le Tribunal canadien des droits de la personne avait finalement ordonné au gouvernement fédéral de conclure une entente avec les Premières Nations.

Mais lorsque les chefs ont rejeté l’entente proposée, lors d’une assemblée extraordinaire en octobre, l’Assemblée des Premières Nations (APN) a dû s’efforcer de déterminer la suite des choses. La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, a exprimé à plusieurs reprises sa déception face à l’échec de l’entente et a déclaré mardi que son gouvernement étudiait ses options.

Le cabinet Fasken Martineau DuMoulin, qui a mené un examen juridique de l’entente pour l’APN, prévient qu’il n’y a aucune garantie qu’un nouveau gouvernement sera disposé à négocier ou à prendre des engagements similaires à ceux proposés par les libéraux actuellement au pouvoir.

«Cependant, si l’accord de règlement final (ou une version révisée) était approuvé et entrait en vigueur, il constituerait un contrat juridiquement contraignant et exécutoire, qui ne pourrait pas être modifié par un nouveau gouvernement sans le consentement des parties ou une intervention judiciaire, et serait donc contraignant pour un futur gouvernement», peut-on lire dans l’avis juridique, daté du 15 novembre.

«Cela signifie que, tant qu’un accord contraignant n’est pas conclu, un nouveau gouvernement ne sera pas lié par les négociations qui ont eu lieu, jusqu’à présent, avec le Canada – y compris l’engagement de 47,8 milliards $.»

Les conservateurs, qui mènent largement dans les sondages, n’ont pas répondu aux demandes répétées de commentaires sur leur intention de négocier ou non avec les Premières Nations, ou s’ils s’engagent à respecter le montant de 47,8 milliards $.

Manque de consultations?

Le Tribunal canadien des droits de la personne avait conclu que le sous-financement fédéral des services de protection de l’enfance était discriminatoire, car les enfants vivant dans les réserves recevaient moins de services que ceux vivant hors des réserves. Le Tribunal a donc chargé le Canada de conclure une entente avec les Premières Nations pour réformer le système.

L’accord devait couvrir 10 ans de financement pour que les Premières Nations puissent prendre en charge elles-mêmes leurs propres services de protection de l’enfance.

Les chefs et les fournisseurs de services ont critiqué pendant des mois cet accord, affirmant qu’il n’allait pas assez loin pour garantir la fin de la discrimination. Ils ont également fustigé le gouvernement fédéral pour ce qu’ils considèrent comme un manque de consultation des Premières Nations lors des négociations, et pour l’exclusion de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, qui avait pourtant contribué à lancer la plainte initiale devant le Tribunal des droits de la personne.

En octobre dernier, lors d’une assemblée extraordinaire des chefs de l’APN, à Calgary, l’accord a été rejeté par deux résolutions.

L’APN a demandé un examen juridique de ces résolutions et des conséquences potentielles d’un rejet de l’accord. Un ancien chef national de l’organisation, Perry Bellegarde, travaille comme conseiller spécial au sein du cabinet Fasken Martineau DuMoulin. Le même cabinet a également représenté l’APN dans la partie du recours collectif de la plainte pour atteinte aux droits de la personne contre le fédéral.

Cindy Blackstock, qui dirige la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, et qui a contribué au dépôt de la plainte initiale devant le Tribunal des droits de la personne, a déclaré que les 47,8 milliards $ proposés n’ont jamais été garantis, car le financement était soumis à l’affectation de crédits parlementaires.

«Il s’agissait d’environ 4,7 milliards $ la première année, et nous verrons ensuite ce qui se passera après», a-t-elle soutenu.

Elle a déclaré que le Tribunal canadien des droits de la personne, ainsi que les propres estimations du fédéral, fixent les coûts de la réforme à environ 45 milliards $ en chiffres réels, «donc nous nous situons quelque part dans cette fourchette de toute façon».

«Et ce sont des ordonnances juridiques qui sont contraignantes pour tout gouvernement», a-t-elle soutenu.

Le chef Joe Miskokomon, de la première nation des Chippewas de la Thames, dans le sud-ouest de l’Ontario, qui était un fervent partisan de l’accord, a déclaré qu’il pourrait être irrécupérable et que l’alternative serait de retourner devant le tribunal et d’espérer obtenir un jugement aussi «expansif».

Ou bien, a-t-il dit, les tribunaux pourraient décider que le Canada n’est tenu de payer que le minimum requis pour corriger le problème, en supprimant les fonds pour le logement et les autres avantages prévus par l’accord.

«Allons-nous vivre dans un monde imaginaire où il y a un puits sans fond, où le puits ne se tarit jamais ? […] Il est assez évident que le chef du Parti conservateur a un programme qui ne reflète pas celui du gouvernement actuel», a-t-il plaidé.

«Quel que soit le gouvernement qui sera au pouvoir et quelle que soit la cravate qu’il portera, nous devons lui faire comprendre qu’il y a toujours des ordonnances du Tribunal des droits de la personne qui doivent être respectées, et nous insisterons pour qu’elles soient respectées au moins au minimum, conformément à la norme minimale à laquelle nous sommes actuellement confrontés dans le cadre des négociations sur le projet d’accord final.

«Cela veut-il dire qu’ils seraient d’accord ? Bien sûr que non.»