Allégations d’ingérence: la cheffe de cabinet de Trudeau accepte de témoigner

OTTAWA — La cheffe de cabinet de Justin Trudeau, Katie Telford, ira finalement témoigner en comité sur les allégations d’ingérence étrangère,a annoncé, dans un revirement de situation, le bureau du premier ministre, signalant aussi que le rapporteur spécial David Johnston aura jusqu’au 23 mai pour trancher sur la nécessité, ou non, d’une commission d’enquête.

«Bien qu’il y ait de sérieuses contraintes sur ce qui peut être dit en public sur les questions sensibles de renseignement, dans un effort pour faire fonctionner le Parlement, Mme Telford a accepté de se présenter devant le Comité de la procédure et des affaires de la Chambre», a-t-on indiqué dans une déclaration écrite transmise mardi avant-midi.

Ce coup de théâtreest survenuquelques heures avantque n’ait lieu un vote, aux Communes, sur une motion conservatrice visant à réclamer une telle comparution devant un autre comité, celui de l’éthique.

Les conservateurs tentaient depuis des semaines de faire adopter une motion similaire devant le comité de la procédure, mais les libéraux y siégeant ont empêché la tenue d’un vote en discourant durant de longues heures.

Mardi, la motion a finalement pu être adoptée à ce comité après que le bureau de M. Trudeau eut fait savoir que Mme Telford se rendrait disponible pour comparaître.

Lorsqu’appelé à expliquer la volte-face en mêlée de presse, le premier ministre a répondu que «ce n’est pas une question de changer d’idée».

«C’est une question qu’une fois que le mandat (du rapporteur spécial) est maintenant sorti et que l’ancien gouverneur général (David Johnston) va commencer son travail, les gens vont savoir qu’il y a une façon sérieuse et responsable de trouver toutes les réponses que les gens ont», a-t-il dit avant de se rendre à la période des questions.

Il a fait valoir que Mme Telford ne pourra pas répondre publiquement à des questions sensibles sur la sécurité nationale et que le mandat du rapporteur spécial, lui, permettra de faire un travail complet sur ce dossier.

Selon le libelléde la motion entérinéeen comité, Mme Telford comparaîtra durant au moins deux heures et devra prêter serment. La date de son témoignage sera fixée entre le 3 et le 14 avril.

D’autres témoins seront aussi appelés à comparaître, y compris les directeurs nationaux de campagne pour les libéraux et les conservateurs dans le cadre des élections de 2019 et de 2021.

Par ailleurs, M. Trudeau avait écarté toute possibilité que le vote aux Communes, tenu mardi après-midi, en soit un de confiance.

Un tel scénario aurait pu faire tomber le gouvernement minoritaire libéral et plonger le pays dans une campagne électorale.

Peu de temps avant que le bureau de M. Trudeau n’indique que Mme Telford ira finalement témoigner en comité, le chef néo-démocrate Jagmeet Singh avait menacé d’appuyer la motion conservatrice.

«Si le gouvernement libéral (….) n’arrête pas l’obstruction dans le comité, s’il ne permet pas à la cheffe de cabinet de Justin Trudeau de témoigner, on va les forcer de le faire en appuyant la (motion) d’opposition aujourd’hui», a-t-il signalé.

Or, le Nouveau Parti démocratique (NPD) a finalement voté contre la motion qui a donc été rejetée en raison de l’opposition, également, des libéraux.

Les bloquistes ont appuyé la proposition conservatrice, mais cela n’a pas été suffisant pour rallier une majorité de voix.

Le député Charlie Angus a soutenu que la motion n’était «pas importante maintenant à cause du rôle du NPD pour forcer Mme Telford d'(aller) au comité».

Son chef, M. Singh, en a rajouté une couche en affirmant ensuite que c’était son ultimatum qui avait incité les libéraux à laisser Mme Telford témoigner.

Cette attribution de mérite par le NPD a aussitôt été balayée du revers de la main par les conservateurs, qui estiment plutôt que ce sont eux qui ont forcé la main au gouvernement Trudeau.

«À chaque fois qu’il y a un enjeu et que M. Singh se lève pour le soulever à la faveur de l’opposition, tout le monde part à rire parce qu’on sait que, de l’autre côté, il donne son appui au gouvernement. Il dit un peu n’importe quoi», a commenté le lieutenant pour le Québec des conservateurs, Pierre Paul-Hus.

Il a relevé que la motion conservatrice incluait la comparution de nombreux autres témoins qui ne sont donc pas convoqués, comme l’ambassadrice du Canada en République populaire de Chine, Jennifer May, et l’un de ses prédécesseurs, John McCallum.

«Il y avait réellement du mordant dans notre motion», a renchéri le député conservateur Andrew Scheer.

Il a noté que les témoins auraient été convoqués devant le comité de l’éthique, qui est présidé par un élu conservateur. Le comité de la procédure est présidé par la libérale Bardish Chagger et M. Scheer juge qu’elle aide le gouvernement dans son «camouflage».

L’opposition officielle et les bloquistes ont en outre critiqué la nomination de M. Johnston comme rapporteur spécial indépendant sur l’ingérence étrangère puisqu’ils estiment notamment qu’il est trop proche de M. Trudeau.

Les libéraux maintiennent que l’intégrité de M. Johnston est irréprochable et qu’il est bien placé pour recommander au gouvernement les mesures à préconiser pour «rassurer les Canadiens».

Mandat du rapporteur spécial

Le bureau de M. Trudeau a d’ailleurs dévoilé mardi les détails du mandat de celui qui est chargé de déterminer si, oui ou non, le lancement d’une commission d’enquête publique et indépendante est nécessaire.

M. Johnston aura jusqu’au 23 mai prochain pour trancher sur la question des prochaines étapes. «M. Johnston recommandera la mise en place de tout éventuel mécanisme supplémentaire ou processus transparent qu’il juge nécessaire pour renforcer la confiance des Canadiens dans l’intégrité de nos institutions démocratiques, par exemple une enquête publique formelle», peut-on lire dans un communiqué du bureau du premier ministre.

Mais l’ensemble des partis d’opposition demande le lancement d’une enquête publique et indépendante dès maintenant, sans avoir à attendre un potentiel feu vert du rapporteur spécial.

«L’enquête publique aurait déjà dû débuter. Je ne vois pas ce que le rapporteur va nous rapporter d’utile dans ce dossier-là», a commenté le député bloquiste Rhéal Fortin.

Le mandat du rapporteur spécial préciseque celui-ci aura accès «à tous les dossiers et documents pertinents, qu’ils soient classifiés ou non».

M. Johnston devra aussi passer en revue les mesures déjà prises par le gouvernement pour contrer les activités d’ingérence de Pékin, entre autres. Il aura jusqu’au 31 octobre pour compléter l’ensemble de son travail et devra fournir des «rapports périodiques», dans l’intermède, à M. Trudeau.

Le premier ministre s’engage d’ailleurs à transmettre ces rapports «rapidement» aux chefs des partis d’opposition ainsi qu’à l’ensemble des Canadiens.

– Avec des informations de Michel Saba