Les coûts du bien-être animal explosent
AGRICULTURE. Le bien-être animal a malheureusement un prix. Des producteurs de la région le vivent de plus en plus, surtout que la montée des prix dans presque tous les secteurs d’activités modifient les projets déjà en cours de réalisation et rend incertains plusieurs projets actuellement sur la table.
Souhaitant implanter davantage de stabulation libre dans leur étable et diminuer le nombre de bêtes attachées en permanence, surtout lors des épisodes de vêlage, Dave Kelly et Chantale Guay de la Ferme Phinidar de Saint-Nazaire ont récemment terminé l’agrandissement d’un de leurs bâtiments. La démarche s’est toutefois conclue par un dépassement des coûts de 100 000 $, sur un projet initialement prévu à 250 000 $.
« C’est 69 % de plus que les soumissions faites au départ. Nous n’avons rien changé, il n’y a pas eu d’extra. Une chance que j’ai fait l’excavation moi-même et que des membres de nos familles sont venus nous donner un coup de main », se désole Dave Kelly. « Nous sommes sur la coche, c’est très correct ce que nous avons fait. Mais si nous avions su ce que ça impliquait financièrement à la fin, nous ne l’aurions peut-être pas fait », ajoute-t-il.
Sa conjointe Chantale approuve ses dires tout en se rendant à l’évidence que des améliorations étaient nécessaires. « Il fallait le faire. Nous sommes toujours dans la grange. Ça nous permet de sauver un peu de temps, d’améliorer le confort des animaux et en même temps, leur productivité. En même temps, c’est très dispendieux. »
Edwin Quigley, vétérinaire à la clinique de Frampton, explique que d’autres fermes de la région ont opté pour d’autres améliorations. « Une autre ferme a amélioré ses installations pour rehausser la propreté, améliorer le confort des vaches et aménager un parc de vêlage lousse. Ailleurs, une ferme propose une étable à trois faces. Les vaches sont attachées, mais les propriétaires prennent le temps de sortir les vaches eux-mêmes pour leur permettre de bouger. »
M. Kelly souhaitait toutefois s’occuper de sa propre relève, volet auquel il pourra se concentrer davantage à compter de maintenant. Le bâtiment agrandi comporte un espace réservé au vêlage des bêtes. D’autres espaces permettent de les regrouper par petits groupes, selon leur âge. Ce sont les bénéfices financiers qui prendront davantage de temps que prévu à se matérialiser. « Il faut refinancer le projet. Nous ne sommes ici, en production laitière, que depuis six ans. Si nous avions quatre générations de producteurs derrière nous, ce serait autre chose, sauf que ce n’est pas le cas. »
Le confort de l’animal
Sommairement, la majorité des vaches laitières au Québec sont élevées en stabulation entravée, donc attachées, ce qui implique qu’elles mettent souvent bas, enchaînées, dans des espaces trop petits pour elles. Ça pourrait changer puisqu’une nouvelle version du Code de pratique pour le soin et la manipulation des bovins laitiers doit être élaboré d’ici la fin de l’année. Celui-ci proposera, dorénavant, de loger les vaches laitières au pâturage ou en stabulation libre afin qu’elles aient la possibilité de bouger davantage. Quant au vêlage, les producteurs pourraient devoir obligatoirement permettre aux vaches de mettre bas en stabulation libre d’ici 2028, comme décrit dans une récente émission de La Semaine Verte.
Dans son travail, M. Quigley s’implique beaucoup dans les nouvelles constructions et observe que la performance de l’animal s’améliore avec le confort. « 25 % de la production du lait d’une vache est directement reliée à son confort, jumelé à la génétique, la reproduction, son alimentation et autres. Les agriculteurs le savent, mais les dépenses que cela implique font aussi partie de la réflexion. Le système des vaches attachées fait aussi partie des traditions. Lorsque quelqu’un a appris une certaine façon de faire, c’est normal d’hésiter à changer, car la nouveauté devient un peu l’inconnu. Ce ne sont pas tous les agriculteurs non plus qui ont les reins suffisamment solides pour faire face au changement. »
Un guide sur le sujet doit paraitre d’ici quelques mois, indique M. Quigley. Il ne devrait prôner que la stabulation libre pour la suite des choses. L’intention pourrait toutefois être complexe, selon lui, en raison des coûts importants que cela implique. « C’est déjà clair depuis longtemps, sauf qu’il y a un coût énorme à cela, surtout qu’il faut pratiquement doubler la superficie des bâtiments pour y arriver. Par les temps qui courent, les coûts sont très élevés, pour différentes raisons. »
Pour Dave Kelly et sa conjointe Chantale, le bien-être animal est très important. Leur projet visait à la fois des améliorations à ce chapitre, mais aussi des gains en termes de productivité. Dans une autre partie de la ferme, leurs vaches laitières en lactation sont toujours attachées, mais leur confort a été grandement amélioré avec l’ajout de tapis installés il y a un an. Leur ferme comporte une partie élevage d’une quarantaine de têtes et près de 70 dans l’autre, consacrée à la lactation.
« On veut progresser et on a foncé. Nos vaches laitières produisent maintenant environ 10 300 litres par vache annuellement. On fait notre maïs à Saint-Malachie, ce qui nous fait sauver 400 balles de foin et économiser ailleurs. Nous irons chercher des bénéfices, car notre rendement est bon. On devrait aussi sauver en soins de vétérinaire, augmenter la longévité des animaux et avoir moins de perte du même coup », anticipe Dave Kelly.
Il n’y a pas de système parfait, mais la volonté des agriculteurs d’améliorer le bien-être des animaux est plus que présente, observe M. Quigley. « Il faut se donner du temps. Il faudra aussi penser à aider ces gens-là, car ce n’est pas tout le monde qui a les moyens de le faire. Je pense même que la facture devra se régler sur plusieurs générations. »
Dans ce contexte, M. Quigley craint même la disparition éventuelle des petites fermes au Québec. « Quand j’ai commencé, il y avait environ 450 producteurs laitiers dans la région, contrairement à 100 aujourd’hui. Ce n’est pas un secret. À moyen terme, on risque de voir seulement des grosses fermes. Dans la région, il y a des localités où ça risque d’être difficile, car l’économie de bien des villages passe par l’agriculture. »