Le Noir à la pelle

COMMENTAIRE. Lors de la première bordée de neige de la saison, je suis sorti faire ce que tout bon Québécois est habitué de faire: pelleter. Il n’a fallu que quelques secondes à mon voisin, un extraordinaire Beauceron aux origines béninoises, pour me lancer: « Tu pourras dire que tu as déjà vu un Noir pelleter. Ce n’est pas monnaie courante! »

Je vais régler un malaise tout de suite. Contrairement à ce que laisse entendre mon titre, je m’en contre-saint-ciboirise qu’il soit Noir. Grand bien lui fasse. Il est aussi grand, mince, courtois et incroyablement généreux.

Ceci étant dit, aussi étrange que cela puisse paraître, ça ne m’a pas empêché d’avoir une petite pensée pour les premiers colons français. Je me suis demandé: « Il y a 400 ans, est-ce que l’un d’eux a déjà regardé son voisin Algonquin en lui disant: « Tu n’aurais jamais pensé voir un Blanc avec des raquettes! »

Par conséquent, je me suis posé la question: « Aujourd’hui, qui est l’étranger? » Au Québec, j’ai envie d’affirmer que le concept n’existe plus (Quoique je devine qu’une personne qui ne serait jamais sortie d’un pays chaud aurait un maudit choc en se présentant à Saint-Isidore au mois de février… Vous savez de quoi je parle!), mais paradoxalement, le fabuleux sens d’autodérision de mon voisin était tout de même fondé.

Je m’explique. Aussi loin que je me souvienne, je n’avais jamais eu l’occasion de voir une personne d’une autre couleur que la mienne s’adonner aux bucoliques besognes hivernales. En ce sens, cette vision banale est extraordinaire! N’est-ce pas formidable lorsque deux personnes aux racines aussi différentes partagent une même corvée?! Bon, trêve d’émerveillement, on parle quand même juste d’une « job de pelletage »…

Toujours est-il que chialer sur la température est universel. C’est comme critiquer le prix de l’essence, blâmer le système de santé, crier sur le trafic ou se lamenter sur les impôts. La seule différence, peut-être, est dans le choix du blasphème. Rendu là, quelle importance? Je ne l’ai jamais vu de mes propres yeux, mais je trouve qu’il y a quelque chose de poétique en un immigrant qui glisserait sur une plaque de glace et qui lâcherait un « Tabarn**! » en tombant sur le derrière. (Mis à part le fait qu’il se serait fait mal, évidemment.)

Ainsi, pelle, gratte, souffleuse, abri “tempo”, contrat de déneigement… Le choix des armes pour affronter la neige n’est pas une science. (Bien qu’un cours de pelletage à la polyvalente serait intéressant. Je propose mon entrée pour accueillir des stagiaires!) C’est un choix personnel qui montre d’une certaine façon le degré d’intégration des individus. Si vos oreilles sont gelées, que votre nez coule, et que le camion de la ville vous balaye un muret de neige bien tapée devant votre voiture juste avant un rendez-vous important, lâchez un « Ah, sacrem**! » et vous êtes des nôtres!