La sédimentation progressive de la Chaudière
SÉCURITÉ. Le transport naturel du sable des hauteurs de la vallée jusqu’au fond du lit de la Chaudière est un phénomène méconnu qui pourrait avoir des effets insoupçonnés sur les inondations.
Les anecdotes ne manquent pas. Des pneus ont été découverts de cinq à six pieds enfouis dans le sable, lors du creusage de l’aqueduc du côté ouest de Sainte-Marie.
Il y a quelques années, les baigneurs avaient l’habitude de nager pour atteindre l’autre rive, à certains endroits de la rivière, mais aujourd’hui c’est possible de le faire à pied.
Des données sont manquantes pour bien comprendre le phénomène de la sédimentation de la rivière Chaudière. On peut toutefois dire que son lit semble inévitablement se remplir. Année après année, les sédiments transportés par les deltas s’y jettent. «Il y a des amoncellements énormes dans la Chaudière, qu’il n’y avait pas il y a bien des années», explique Réal Bisson, maire de Vallée-Jonction.
Les municipalités le long de la Chaudière enlevaient régulièrement les bancs de gravier, qui se forment de façon naturel à la rencontre de ses deltas. Les propriétaires de gravières récupéraient le matériel, sans que les municipalités aient à débourser quoi que ce soit. Cependant, le ministère de l’Environnement a mis fin à cette pratique.
Décret pour Irène
Lors du passage de la tempête Irène en 2011, un décret ministériel a permis aux municipalités de réaménager leurs cours d’eau, sans qu’elles aient besoin d’un certificat d’autorisation ou d’une étude d’impact environnemental.
Vallée-Jonction a mandaté à l’entrepreneur en excavation Concorbec afin de s’occuper des rivières du côté ouest. Les pierres étaient retirées ou déplacées pour former un mur et protéger des habitations. La pelle mécanique a travaillé sur les cours d’eau, pendant au moins 10 jours sur environ 500 mètres.
«Le ministère de l’Environnement ne voulait pas qu’on touche à la Chaudière. C’est pourquoi il reste encore une île à l’embouchure», a décrit Georges Chiarella propriétaire de Concorbec.
Juridiction
Les rivières ont deux types de statuts au Québec: les cours d’eau et les cours navigables. Les cours d’eau sont sous la responsabilité de la MRC, qui doit s’assurer du libre écoulement des eaux. Tandis que les rivières navigables sont sous la gestion de Québec. L’obstacle infranchissable des chutes de la Chaudière de Charny a pour conséquence de donner le statut de cours d’eau à la Chaudière.
«Il s’est amené beaucoup de matériaux. Tous les printemps, il y a des amoncellements de graviers qui se forment à l’embouchure des tributaires», avoue d’emblée Mario Caron, directeur général de la MRC de la Nouvelle-Beauce.
Goulot d’étranglement et barrages naturels
«Je vois ça comme un gros problème, parce que ça n’aide pas à l’écoulement des glaces. On veut en reparler avec le ministère de la Sécurité publique et le ministère de l’Environnement. Je trouve que ça n’a aucun sens», affirme Réal Bisson, maire de de Vallée-Jonction
la situation est similaire pour Saint-Joseph-de-Beauce et Beauceville, où des bancs de sable s’accumulent. Ils ne favorisent pas l’écoulement de l’eau et des glaces. Ce sont des remparts naturels susceptibles de créer des embâcles et éroder les berges.
«Je trouve épouvantable que l’on verse des sommes pour les inondations, mais qu’on ne soit pas capable de prendre des mesures de préventions pour les limiter», ajoute M. Bisson.
Dragage une solution?
Il y a deux ou trois ans, la MRC de la Nouvelle-Beauce s’était battue en cour avec le ministère de l’Environnement pour être autorisée à enlever le gravier, mais elle avait perdu.
Dans la politique nationale de l’eau de 2002, le ministère de l’Environnement cite le dragage comme une activité d’aménagement faisant subir d’importantes pressions sur les écosystèmes aquatiques. On ne retrouve aucune mention du dragage dans la Politique québécoise de sécurité civile (2014-2024). Elle n’y figure pas comme mesure d’atténuation des inondations.
«Ça prend une étude suffisamment sérieuse pour démontrer le bien-fondé de la demande. Il faut connaître les impacts sur les poissons et la faune. Le coût de cette étude est tout de même élevé pour obtenir l’autorisation. Je ne suis pas certain que le ministère de l’Environnement aurait de l’ouverture non plus», ajoute Mario Caron.
Réponses du ministère de l’Environnement
Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC)
Seuls deux décrets ministériels ont autorisé des travaux de dragage. Un premier en 2003 a permis à la municipalité de Saint-Martin de procéder au retrait de sédiments dans la Chaudière. Un autre décret a autorisé la MRC de Bellechasse à réaménager les berges et au dragage de la rivière La Fourche en 2005. Ces deux exemples ont été autorisés par le pouvoir discrétionnaire du ministre de l’Environnement qui était à ce moment Thomas Mulcair sous le gouvernement du Parti Libéral de 2003 à 2006.
«Les exigences environnementales varient selon la localisation des travaux, les caractéristiques propres au milieu récepteur, les méthodes de travail prévues, la longueur des travaux et la période choisie pour réaliser les travaux. Les projets de dragage sur une distance de 300 m ou plus ou encore, sur une superficie de 5000 m2 ou plus sont assujettis à la Procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement», a répondu Clément Falardeau de la Direction des communications du MDDELCC.
Merci à Jean-Marie Fecteau pour les photos de ces articles.
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