«La nuit, ce n’est pas le temps de faire un infarctus»

Services ambulanciers

SANTÉ. En cas d’arrêt cardiaque, en Nouvelle-Beauce, si vous appelez l’ambulance entre 2h30 et 6h30 du matin, il se peut qu’elle arrive trop tard pour vous réanimer.

Cette situation paraît extrême, mais elle témoigne du manque de ressources ambulancières à Sainte-Marie. «J’ai deux filles et s’il se passe quelque chose la nuit. C’est certain que je n’appellerai jamais le 911, explique l’ambulancier de Sainte-Marie, Sébastien Breton. Je la mets dans la voiture et je file à l’hôpital.» Quand l’ambulancier lui-même n’utilise pas les services d’urgence, on est à même de constater que le secteur est bien mal desservi.

Entre 2h30 et 6h30 du matin, les deux garages ambulanciers de Sainte-Marie sont déserts. Lorsqu’un appel entre, le répartiteur téléphone aux ambulanciers sur l’horaire de faction (sur appel). «Habituellement, on est chez nous endormi. On se réveille et on s’habille en vitesse. Ça prend en moyenne 8 à 12 minutes entre l’appel et la sortie du véhicule du garage», décrit l’ambulancier Guillaume Nadeau.

Cet été, les ambulanciers de Sainte-Marie ont été appelés un peu avant 5h du matin. Un homme était en arrêt cardiaque et il est finalement décédé. Même s’il est difficile d’attribuer la mort d’une personne à une seule cause, chaque minute compte dans des cas comme celui-ci.

«Dans mes 28 ans de carrière, j’ai effectué 6 ou 7 réanimations. Toutes étaient le jour», montre comme exemple l’ambulancier de Sainte-Marie Sylvain Faucher.

Pourquoi revient-elle dans l’actualité?

La situation n’est pas nouvelle. Les horaires de faction perdurent depuis 1989 un peu partout au Québec. C’était une mesure temporaire, à une époque où les corbillards des salons funéraires servaient également au transport des personnes malades. Cette façon de faire est cependant devenue permanente avec le temps.

Dans le cadre de la négociation de leur convention collective, les ambulanciers de Dessercom, l’une des deux entreprises ambulancières de Sainte-Marie, souhaitent créer un débat entourant l’horaire de faction et la couverture régionale des services ambulanciers en Nouvelle-Beauce.

Le 23 février, Sébastien Breton a filmé son collègue Guillaume Nadeau pour dénoncer la réforme Barrette et les services à la population qu’ils jugent insuffisants. La vidéo a été vue et partagée à de nombreuses reprises sur les réseaux sociaux.

L’une des demandes de leur syndicat et de leur employeur est de transformer l’horaire de faction, en horaire à l’heure. Ce qui signifierait qu’un ambulancier serait en poste au garage, éveillé et prêt à intervenir plus rapidement.

«On veut vous mettre au courant. La population vieillie et la nuit, ce n’est pas le temps de faire un infarctus», ajoute Sébastien Breton.

Plusieurs exigences

Dans une lettre adressée aux syndicats ambulanciers de la province (voir copie, ci-contre), le sous-ministre adjoint Marco Thibault du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a émis des conditions pour l’ajout de ressources ambulancières. La lettre du 21 décembre 2017 décrit dans le point 3 que les horaires de faction seront transformés au cours de l’année 2018 si la moyenne annuelle d’heures travaillées dépasse 28 heures par semaine.

Selon les chiffres que nous a fournis Dessercom, la moyenne à Sainte-Marie pour l’année 2016-2017 était de 42 heures et 36 minutes, bien au-delà du seuil fixé par le MSSS.

«Toutes les zones ambulancières sont présentement en analyse en ce qui a trait à l’utilisation des ressources et la charge de travail. Il est donc prématuré de se prononcer à cette étape», a répondu le MSSS.

État de la situation

À Sainte-Marie, il y a quatre véhicules ambulanciers. Cambi en possède deux et Dessercom deux aussi. Les entreprises s’alternent dans les quarts de travail. Le jour, il y a toujours une ambulance prête à partir dans l’un ou l’autre garage (à moins qu’elle ait déjà reçu un appel). Une autre est toujours en «remplacement» au cas où l’une serait en réparation. Il en reste donc une que les contribuables paient une journée sur deux. Le reste du temps,  elle amasse la poussière. «C’est un peu du gaspillage de fonds publics», commente le représentant syndical Jean-François Gagné. Ça coûterait peut-être 150 000$, la mettre en service.»

La zone 327 (Sainte-Marie) comprend 10 municipalités de la MRC Nouvelle-Beauce pour environ 30 000 habitants répartis sur 800 km2. Saint-Lambert-de-Lauzon fait partie de la zone adjacente de Lévis. Aucune ressource ambulancière n’a été ajoutée dans la zone depuis 2003, selon ce que nous expliquent les ambulanciers de Dessercom­.

Aucun ajout dans les zones prioritaires

Le MSSS a alloué de nouvelles ressources dans cinq zones de Chaudière-Appalaches, au printemps 2017. Saint-Charles, Sainte-Claire, Saint-Georges, Beauceville et Saint-Joseph-de-Beauce ont tous eus plus d’heures ambulancières par semaine. Cependant, certaines de ces zones n’étaient pas prioritaires si on les compare à Lévis, Sainte-Marie ou Armagh.

Un administrateur de Dessercom, avec qui nous avons parlé, ne comprend pas cette situation. Les zones bénéficiant des ajouts «se situaient au mieux au 5e, 7e et 8e rang des priorités régionales», décrit un courriel du directeur général de Dessercom, Maxime Laviolette, adressé au président-directeur général du CISSS de Chaudière-Appalaches, Daniel Paré.

«Les ajouts et les transformations d’horaire effectués au cours de la dernière année ont été faits dans les zones jugées prioritaires en Chaudière-Appalaches, et ce, en considération de la charge individuelle de l’ensemble des véhicules ambulanciers», a répondu le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches.

Cependant, le classement des charges de travail par zones ambulancières (pour l’ensemble du Québec, pour 2015-2016) donne un tout autre portrait. Saint-Georges (66e rang), Beauceville (47e rang) et Sainte-Claire (30e rang) sont des zones bien moins prioritaires qu’Armagh (20e rang), Sainte-Marie (22e rang) et Lévis (29e rang).

«Selon notre dernière analyse, nos priorités régionales sont les secteurs de Saint-Flavien, Lévis et Sainte-Marie», nous a répondu le service des communications du CISSS de Chaudière-Appalaches.

Statistiques-Centrale d’appels-Sainte-Marie-zone 327

2017-12-21-Lettre Marco Thibault (sous-ministre adjoint MSSS) aux syndicats paramédics

2017-08-17-Lettre de Maxime Laviolette (DG Dessercom à Daniel Paré (PDG CISSS Chaudière-Appalaches)

2017-08-28-Réponse de Daniel Paré à Maxime Laviolette

2017-08-30-Retour de Maxime Laviolette à Daniel Paré