La gare patrimoniale centenaire de Vallée-Jonction
Cet article est écrit par François Cliche, résident de Vallée-Jonction, vice président du Musée ferroviaire de Beauce, bénévole et passionné de trains.
L’arrivée du chemin de fer…
Suite à la Confédération de 1867, deux compagnies ferroviaires seront étroitement liées au développement du rail en Beauce, plus précisément à Beauce-Jonction (Vallée-Jonction). D’abord, la Levis & Kennebec Railway qui souhaite traverser la Beauce jusqu’au Maine en partance de Lévis, puis la Sherbrooke, Eastern Townships & Kennebec Railway (devenue la Quebec Central Railway en 1875) depuis Sherbrooke jusqu’à la rivière Chaudière.
En 1876, la Levis & Kennebec atteint un endroit désigné « Trou-de-la-Bisson », entre Sainte-Marie et Saint-Joseph-de-Beauce. Trois ans plus tard, à environ deux kilomètres en amont, une première station, toute de bois, sera érigée sur un site stratégique, berceau de la future paroisse de l’Enfant-Jésus (Vallée-Jonction). De son côté, la Quebec Central aboutit juste en face sur la rive ouest de la Chaudière en novembre 1880. L’année suivante, un premier « pont des chars », couvert, est construit pour relier les deux rives, permettant ainsi un lien direct entre Sherbrooke et Lévis. La gare de Beauce devient alors une jonction ferroviaire, qui finira par relier la Beauce à Mégantic en 1895, à Lac-Frontière en 1915, à Québec en 1921, voire même les États-Unis.
Une nouvelle gare est attendue…
Dès la fondation de la paroisse en 1898 avec ses 450 habitants, la petite station de Beauce-Jonction semble déjà désuète, vu les 10 000 personnes qui transitent sur ses quais annuellement. En plus, depuis une bonne quinzaine d’années, de nombreuses installations du rail ont rapidement rendu le site ferroviaire surchargé, avec sa rotonde à trois portes, son pont tournant, ses tours à eau et à charbon et une cour de triage triplée en superficie.
Malgré les besoins ferroviaires toujours grandissants ainsi que les bâtiments commerciaux et résidentiels qui se sont ajoutés tout autour, il faudra tout de même attendre en juin 1917 pour qu’une nouvelle gare soit inaugurée au même endroit, selon un plan standard du Canadien Pacifique. Le nouvel édifice, quatre fois plus vaste que son prédécesseur, est dorénavant considéré comme la gare la plus moderne et la plus spacieuse sur tout le réseau de la Compagnie du Chemin de fer de Québec Central.
Une gare architecturale et patrimoniale en devenir…
Vallée-Jonction s’enorgueillit encore aujourd’hui de sa magnifique gare qui fut sa raison d’être il y a plus d’un siècle. Outre son bureau d’opération pour le chef de gare et sa salle des bagages, le vaste bâtiment offre deux salles d’attente (l’une pour hommes, beaucoup plus grande, et l’autre pour dames, qui sert également de section « non-fumeur »), des bureaux pour sa propre police et le « roadmaster », ainsi qu’une salle de conférence et des chambres avec cuisine commune à l’étage pour les employés du rail. Puis, dans les années 1950 lors de la « guerre froide », on lui rajouta un abri antinucléaire au sous-sol, assurément le seul du genre en zone inondable dans toute l’Amérique du Nord.
Sise au bord de la rivière Chaudière en plein cœur de Vallée-Jonction, cette gare centenaire remplie d’histoire présente donc un intérêt patrimonial de par sa valeur architecturale. Elle est également représentative des gares du début du XXe siècle. La construction principale est faite avec un nouveau matériau en vogue à l’époque : les blocs de bossage en ciment imitant la pierre. Avec son élévation d’un étage et demi et son plan en « T », elle est coiffée d’un toit à croupes. Un large abri constitué par le prolongement du toit et appuyé sur des piliers complète l’une des extrémités du bâtiment.
Également, plusieurs éléments architecturaux en bois prédominent. L’une des façades, aménagée sur un mur pignon qui montre la trace d’une ancienne porte centrale, est ornée de faux colombages. Ses larges avant-toits débordants sont supportés par une série de consoles en bois. Les larges portes à panneaux avec vitrage, la cent-cinquantaine de fenêtres à guillotine à petits carreaux et les lucarnes à croupe s’ajoutent aux consoles, bandeaux et linteaux. Les bas de murs intérieurs sont couverts de planches en « V » faits de bois de Colombie.
Enfin, son emplacement d’origine à la jonction de deux lignes ferroviaires dans un espace triangulaire, la proximité de nombreuses infrastructures ferroviaires toujours en place (pont d’acier, rotonde, plaque tournante, passerelle pour piétons, sa vaste cour de triage…) et l’inscription « Québec Central » en façade principale lui confèrent un aspect très particulier. Petits détails peu anodins : Quelques semaines à peine après son inauguration, la gare de Vallée-Jonction est inondée sous trois pieds d’eau au plus fort de l’inondation beauceronne la plus dévastatrice, un certain 31 juillet 1917. Et, ces blocs moulés imitant la pierre, annoncés dans le catalogue de 1910 de la compagnie Sears Roebuck, sont vendus comme étant « ignifuges » même s’ils sont faits de ciment, vu l’ajout d’amiante dans le procédé de fabrication…
Sa mise en valeur et ses lettres de noblesse…
Devenues très tôt le centre névralgique des opérations ferroviaires sur l‘ensemble du réseau depuis la gare Valley Junction, les activités ne cessent de croître sur le site, si bien que 80 % des travailleurs de la localité sont au service du Québec Central. Malgré un développement intense et des décennies prospères jusque dans les années 1950, la Compagnie voit son achalandage diminuer graduellement, si bien qu’elle abandonne le service aux passagers le 29 avril 1967. Elle permet un dernier départ de quelques wagons depuis la gare de Vallée-Jonction le 24 septembre 1991 et cesse définitivement toute activité sur le réseau de quelque 382 kilomètres de voies le 10 novembre 1994. C’était la fin de la belle époque du chemin de fer…
Vu l’importance du site de la gare de Vallée-Jonction avec ses installations ayant joué un rôle stratégique dans le développement de toute la Beauce, un petit groupe de défenseurs formé par l’auteur, sous l’égide du Comité culturel local, fonde le Centre d’interprétation ferroviaire de Vallée-Jonction en décembre 1990. L’organisme est voué à sauver d’abord la gare de 1917 de la démolition, à y installer le Musée ferroviaire de Beauce, puis à y exposer du matériel roulant dont une locomotive à vapeur. Le bâtiment historique sera par la suite protégé, puisqu’il sera désigné gare ferroviaire patrimoniale canadienne (décembre 1991) et cité bien culturel (février 2003). À l’ouverture du musée au printemps 1994, l’organisme devient pour quelque temps la deuxième division québécoise de l’Association canadienne d’Histoire ferroviaire. Et depuis 1994, le Musée aura accueilli à son guichet pas moins de 100 000 touristes, entre autres par la mise sur les rails d’une attraction majeure avec les Trains touristiques de Chaudière-Appalaches de 2000 à 2005.
Très enchantée de la préservation de son édifice emblématique à l’aube de son centenaire et des efforts déployés « à bout de bras » par les bénévoles du Musée depuis toujours, la Municipalité de Vallée-Jonction remue ciel et terre afin de trouver les programmes convenables en vue de rassembler les sommes nécessaires à sa restauration majeure. Après une longue attente, on procède finalement aux travaux à l’hiver 2017, l’année de ses 100 ans, pour en faire une station multi-institutionnelle qui regroupera dorénavant : le Musée ferroviaire de Beauce, le Cercle des Fermières et l’Âge d’Or – Oasis de ma Vallée sous le même toit. En grande pompe le 16 novembre 2017, on inaugure la toute fin des travaux qui totaliseront près de 550 000 dollars. À juste titre, la gare patrimoniale de Vallée-Jonction se veut un témoin du développement ferroviaire québécois.
Et heureux dénouement avec le Musée ferroviaire de Beauce qui vous prépare une toute nouvelle exposition pour la prochaine saison touristique. Bienvenue à tous… All Aboard ! En voiture ! Le Chef de gare de Vallée…