Les agriculteurs demandent des comptes à Justin Trudeau

AGRICULTURE. Une vingtaine d’agriculteurs beaucerons ont manifesté au Saguenay le 7 juin, alors que le premier ministre participait à sa dernière apparition en public avant le G7.

Venu encourager la candidate libérale Lina Boivin dans l’élection partielle de la circonscription Chicoutimi-Le Fjord, le premier ministre du Canada Justin Trudeau s’est rendu à La Baie, près de la Ville de Saguenay.

L’information a circulé la veille et rapidement, sur le groupe Facebook «Les amis de la Gestion de l’offre et des régions», les agriculteurs se sont mobilisés pour être présents lors de cette visite.

«Il a dit dans une entrevue dimanche [3 juin], à la chaîne NBC qu’il était flexible sur les produits agricoles. Ç’a mis le feu aux poudres», s’est exprimé Bruno Cyr, représentant des producteurs de lait de Chaudière-Appalaches-Sud. Beauce Média l’a joint au téléphone alors qu’il se trouvait au Centre des sports Jean-Claude Tremblay de La Baie. «Depuis plusieurs mois, il dit qu’il ne fera aucune concession [sur la gestion de l’offre]. On veut qu’il garde son engagement» ajoute M. Cyr.

Producteurs inquiets

Deux cent personnes se sont présentées à cette marche, organisée par les Producteurs de lait du Saguenay. Ce rassemblement survient deux semaines après une autre manifestation, le 23 mai, devant le siège de l’Union des producteurs agricoles (UPA) à Longueuil. Les producteurs laitiers ont dénoncé le prix de 64,12$ l’hectolitre et demandé des actions leur syndicat, les Producteurs de lait du Québec (PLQ), une branche de l’UPA.

Envoyer à perte

Les économistes de la Commission canadienne du lait, un organisme para-gouvernemental fédéral, ont établi que le coût de production d’un hectolitre de lait se situe à 76,55$ en 2016, en baisse de 1,9% par rapport à 2015. Cette donnée signifie que, pour faire leurs frais, les producteurs laitiers ont en moyenne besoin de ce prix. Il est cependant de 12,43$ en deçà de ce montant.

Les PLQ n’ont pas encore demandé une correction du prix auprès de la Commission. Pour invoquer cette clause exceptionnelle, le prix du lait doit descendre en dessous de 3,5% du coût de production. Il se tient présentement à environ 15%.

Invoquer cette clause permettrait de hausser le prix en réduisant la production. Les PLQ ont cependant besoin de l’appui des autres provinces. La Colombie-Britannique, la Saskatchewan et d’autres se sont exprimés favorables à la demande, mais l’Ontario n’a pas encore embarqué. «Idéalement, ça prend leur appui, mais à cause des négociations de l’ALÉNA, ils ne veulent pas», a décrit M. Cyr.

Cas d’un producteur

Luc Turmel, producteur laitier de Saints-Anges, croit que la situation va s’empirer cet été, une période de l’année où la consommation a l’habitude de fléchir. «Il va tomber à 60$ l’hectolitre», est-il convaincu.

Son frère et lui s’occupent d’un troupeau de 50 vaches. Après un incendie qui a ravagé leur ferme, ils ont investi des sommes importantes pour moderniser leur équipement en 2012-2013.

Luc Turmel trouve assez ordinaire de dépenser 607 M$ pour les deux jours du sommet du G7, tandis que les producteurs laitiers de l’ensemble du Canada ont reçu seulement 250 M$ sur cinq ans pour le Programme d’investissement pour fermes laitières (PFIL), afin de compenser l’ouverture de 5% du marché canadien aux produits laitiers européens.

Après quelques appels dans son entourage et selon la lecture des commentaires en ligne, Luc Turmel croit qu’entre 30 et 40% des producteurs font face à des difficultés financières. «S’ils veulent la fin de la ferme, ils vont l’avoir bientôt. Ils permettent aux multinationales de faire de l’argent sur le dos des producteurs québécois», ajoute-t-il.

Dans l’immédiat, Luc Turmel va tenter de réduire ses dépenses en réparant la machinerie par lui-même, peut-être diminuer le nombre de visites du vétérinaire ou réparer plutôt que remplacer de l’équipement. «Je n’attendrai pas de me ruiner pour un domaine où on est exploité. J’aime l’agriculture, mais je ne suis pas sadomasochiste», dit-il.

Critique de l’UPA

M. Turmel a l’impression que son syndicat n’est pas assez proactif dans ce dossier. «Ça fait longtemps qu’ils auraient dû agir. Je trouve qu’à l’UPA, il y a de bonnes personnes, mais il y en a aussi qui regarde le train passer», termine-t-il.