Récupération en mode compression

Depuis qu’Armande s’est fait dérober son bac de récupération, elle ne voit plus ses boîtes de carton, contenants de jus, emballages de produits divers, petites bouteilles de yogourt à boire de la même façon. Elle a adopté une nouvelle méthode : la compression.

Avant, Armande jetait ni plus ni moins pêle-mêle tous les articles à récupérer dans son grand bac bleu. Oui, il peut en prendre! C’est sûr que des fois, il lui fallait, come on dit, fouler un peu le tout. Car il y a des semaines où les objets destinés au recyclage se retrouvent plus nombreux.

Sans son bac, Armande s’est  toutefois retrouvée devant un nouveau dilemme et en attendant d’en acheter un nouveau peut-être un jour en solde, elle remplissait sa boîte de kleenex vide de petites bouteilles vides elles aussi et préalablement bourrées de sacs qu’elle ne réutiliserait pas. Les cartons de lait subissaient le même sort; une fois combles, ils étaient ensuite bien entassés dans une boîte…

En fait, Armande avait développé cette nouvelle façon de faire pour ne pas trop accaparer le bac de l’une de ses voisines qui lui avait offert de déposer temporairement ses rebuts. « Quand même, se disait-elle, il ne faut pas ambitionner sur le pain bénit! »

Bon, ce travail de compression lui semblait quelquefois un peu fastidieux. Il fallait y mettre le temps nécessaire, fouiller  pour faire l’inventaire de ce qui pouvait bien être logé ici et là.

En raison de ce culte aux vidanges, Paul-Émile, l’époux d’Armande, avait fini par affubler sa conjointe d’un surnom. Bien sûr, la première idée qui lui était venue en tête, c’était celle de Ti-Mé, le popa de la P’tite vie. Armande était donc devenue Tite-Mémé sauf qu’elle, elle ne collectionnait pas les sacs verts.

Armande n’était aucunement offusquée de ce titre. Au contraire, elle trouvait que c’était un honneur. Ti-Mé aimait tellement ses ordures qu’inconsciemment, il avait pavé la voie au recyclage. Mine de rien, il avait sans doute contribué à apprendre au monde que les vidanges recèlent des trésors auxquels on peut prêter une nouvelle vie.

Les exercices de compression lui avaient  même donné une idée puis une autre. Armande s’était rappelée le jour où elle avait vu une terrasse extérieure en ciment à laquelle on avait intégré des morceaux de vaisselle et du verre de différentes couleurs. Sur le coup, rien de spécial n’avait surgi dans son esprit, mais aujourd’hui…

-Paul-Émile, avait-elle crié.

Arrivé à côté de son épouse, Paul-Émile la vit, marteau en main, en train de concasser du verre puis une vieille assiette rouge.

-Voyons Tite-Mémé, ça va faire le compactage. Faut quand même pas en faire une maladie!

-Bien non, Paul-Émile, on va intégrer  plein de ces morceaux cassés dans notre futur patio! J’en ai vu un modèle justement. Je te jure que ça va être beau en tabarouette!